Migration et intégration en France, où en est-on ?

Oct 9, 2022 · 17 min to read

L’immigration n’est pas une préoccupation majeure des Français dans leur ensemble, sauf dans les régions où la population immigrée est concentrée telle que l’Île-de-France par exemple. En revanche, les opinions sur l’immigration sont globalement très négatives. L’affirmation : « On en fait plus pour les immigrés que pour les Français » recueille l’assentiment de 64 % des sondés contre 40 % en 2006. L’affirmation : « Il y a trop d’immigrés en France » est majoritaire depuis le début des années 2010, et recueille, selon les enquêtes, l’assentiment de 60 à 63 % des sondés. Il en est de même pour l’affirmation : « Il y a trop d’étrangers en France ». 

Implications démographiques

L’immigration représente une composante de plus en plus importante de la croissance de la population. Cette évolution doit tout autant au ralentissement de la natalité et à la hausse de la mortalité qu’à l’augmentation de l’immigration. La contribution des femmes immigrées à la fécondité représente près d’un cinquième des naissances, même si cette contribution ne représente qu’environ 0,1 point d’indice conjoncturel de fécondité. Ainsi, l’immigration contribue fortement aux naissances, mais faiblement au taux de fécondité ». La fécondité des immigrées est, comme celle des natives, en baisse, mais lui reste supérieure. Un tel différentiel est une spécificité en Europe, seuls la Belgique et le Luxembourg étant dans une situation analogue.

Ainsi, la population française est de plus en plus originaire d’une immigration récente. Le nombre des naissances de parents français ou nés en France est en baisse alors que celui des naissances d’au moins un parent étranger ou né à l’étranger augmente et représente près d’un quart des naissances aujourd’hui. Il y a deux fois plus de jeunes de moins de 18 ans d’origine immédiatement étrangère (immigrés et enfants d’immigrés : 22 %) aujourd’hui qu’à la fin des années 1960 (11 %). La France compte 7,6 millions d’enfants d’immigrés, dont près de la moitié, avec deux parents étrangers. Au total, les immigrés et leurs descendants immédiats représentent désormais plus d’un cinquième de la population française — 21,4 % en 2019 — soit 27 % selon la définition internationale, qui ajoute les ressortissants nationaux nés à l’étranger.

En 2020, l’immigration a représenté plus de la moitié de l’accroissement de la population. Les origines de cette population sont désormais essentiellement extraeuropéennes. Depuis la fin des années 2000, les Européens ne sont plus majoritaires dans la population issue d’une immigration récente, pour moitié en provenance du continent africain soit près de 10 % de la population totale. Environ 17 % des mineurs en France métropolitaine sont d’origine extraeuropéenne alors que ce pourcentage était infime à la fin des années 1960.

L’érosion du solde naturel depuis la fin des années 2000 (baisse des naissances, hausse des décès) donne mécaniquement à la composante migratoire une place plus importante dans l’accroissement de la population. Sa contribution était de 28 % en 2006 et de 43 % en 2017. En 2020, l’immigration a représenté plus de la moitié de l’accroissement de la population.

Les projections à long terme sont, sans surprise, sensibles aux hypothèses migratoires. Le scénario central de l’INED est fondé sur un solde migratoire de +70 000 par an (moyenne récente). Il aboutirait à une population de 76,4 millions d’habitants en 2070. Les hypothèses migratoires font varier ce résultat dans une fourchette de 72,3 à 80,8 millions : 80,8 millions dans l’hypothèse haute (solde : + 120 000), 72,3 millions dans l’hypothèse basse (solde : +20 000). L’apport migratoire semble appelé à être structurellement majoritaire dans la croissance démographique du pays. Sans cet apport, la France n’échapperait sans doute pas au déclin de sa population.

Implications sociétales

La géographie de l’immigration, phénomène essentiellement urbain, a changé. Les deux tiers des immigrés vivent dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants. Dans ces villes, la part de la population adulte d’origine non européenne — première et deuxième génération — s’est accrue de plus de 50 %, soit 9 % en 1990, 15 % en 2015. Dans le même temps, nombre de villes de plus de 10 000 habitants accueillent aujourd’hui d’importantes populations immigrées. Seules deux régions accueillent plus de 10 % d’immigrés : Île-de-France — où vivent près de 40 % des immigrés — et PACA, certains départements se démarquant. On compte les départements de Seine-Saint-Denis et Alpes-Maritimes.

L’évolution de l’immigration contribue au déficit d’assimilation et au communautarisme, voire au « séparatisme ». En Seine-Saint-Denis, on recense un total d’environ 70 % d’immigrés et de descendants d’immigrés. Les naissances de deux parents français y sont désormais minoritaires à l’ordre de 32 %. À La Courneuve, Clichy-sous-Bois et Aubervilliers, la proportion de jeunes d’origine étrangère, sur deux générations, a quadruplé depuis les années 1960, passant d’environ 20 % à environ 80 %.

Or, l’immigration contemporaine est le fait de populations dont l’intégration est notoirement plus difficile — Afrique, mais aussi Asie du Sud, Caucase notamment — que celle des populations européennes, du fait d’une distance culturelle plus grande. Le maintien de la culture d’origine est facilité non seulement par la permanence des flux, mais aussi par les moyens modernes d’information, de communication et de déplacement. Localement, les structures traditionnelles de socialisation - associations, syndicats — notamment liées au Parti communiste — ne jouent plus le même rôle que par le passé ; celles qui s’y substituent ont fréquemment une orientation religieuse.

Par ailleurs, les prénoms associés aux cultures d’origine arabo-musulmane représentent aujourd’hui près d’un cinquième des naissances et le phénomène s’estompe moins à la génération suivante que ce n’était le cas auparavant. Si cette évolution participe de la diversification générale des prénoms depuis une vingtaine d’années, il prend souvent une signification particulière dès lors qu’il manifeste l’attachement à un patrimoine culturel ou religieux d’origine. La surreprésentation des étrangers dans la criminalité et la délinquance est un sujet sensible et ses explications sont diverses. On constate une forte population d’hommes jeunes, un taux d’emploi et de revenus plus faibles, la « désocialisation » des plus jeunes… Néanmoins, cette surreprésentation est indéniable et crée des effets sociétaux et politiques.

Représentant au moins 7 % de la population, dont 3 % pour les ressortissants d’un pays d’Afrique, les immigrés sont responsables selon le ministère de l’Intérieur de 14 % des violences sexuelles, 16 % des coups et blessures volontaires, 21 % des vols avec armes, 19 % des homicides, 34 % des cambriolages, 31 % des vols sans violence, et 38 % des vols violents sans armes. Le crime organisé en France est aujourd’hui essentiellement le fait de groupes d’étrangers provenant d’Europe orientale surtout, ainsi que du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. La population carcérale, pour sa part, est constituée à 23 % d’étrangers, même si ce chiffre doit être tempéré, semble-t-il, par une inégalité devant la justice. 

Seule une infime minorité d’étrangers ou d’immigrés se livre à des actes de terrorisme. Toutefois, 40 % des attentats commis depuis 2015 ont été le fait d’étrangers et il n’est pas possible de négliger le retentissement d’actes tels que ceux commis ces deux dernières années — Paris, septembre 2020 ; Nice, octobre 2020 ; Conflans-Sainte-Honorine, octobre 2020 ; Pau, février 2021 ; Reims, mars 2021 ; Rambouillet, avril 2021.

Implications économiques

L’impact économique

L’impact économique — les coûts et bénéfices — de l’immigration peut être mesuré dans quatre domaines : la richesse nationale, les comptes publics, l’emploi et les salaires. Cet impact est dans tous ces domaines, relativement marginal.

En ce qui concerne la richesse nationale, de manière générale, « passé l’effet transitoire, l’impact à long terme des migrations sur la richesse par habitant, et son évolution, est neutre », suggère l’OCDE. Sur les années 2006-2018, l’effet est décrit comme systématiquement faible pour les États membres : entre +1 % et -1 % du PIB pour la plupart d’entre eux. Le FMI, dans une étude portant sur 18 pays riches, évalue pour sa part l’effet d’un accroissement de 1 % de la population immigrée en âge de travailler à + 2 % du PIB par habitant en raison de gains de productivité.

Concernant la France, certaines études notent un effet positif moins sensible que dans certains autres pays du fait de la structure de l’immigration qui est souvent peu qualifiée et avec un taux de chômage important. Selon l’OCDE, la contribution de l’immigration serait de +1,02 % du PIB en France, contre +1,56 % en moyenne. Une autre étude, portant sur les années 1994-2008, a conclu à un effet positif et significatif sur le PIB par habitant.

Pour ce qui est des comptes publics, l’immigration est à la fois une ressource et une charge pour les finances publiques, et son impact fiscal d’ensemble dans les pays européens est généralement faible. Les immigrants sont surreprésentés dans les catégories en âge de travailler — et donc cotisent davantage qu’ils ne coûtent. Comme l’a montré un rapport de l’Institut Montaigne, la Seine-Saint-Denis est le huitième département contributeur à la protection sociale et le dernier receveur. Par contre, ils peuvent aussi alourdir la charge sociale en raison des besoins — éducation, santé — des familles. En

France, l’impact sur les finances publiques est légèrement négatif : le différentiel de contribution nette au regard des natifs est de l’ordre de -0,3 % point de PIB. Cette conclusion de France Stratégie se base sur deux études : l’un du CEPII portant sur la période 1979-2011 qui donne une fourchette de -0,2 à -0,5 % du PIB, du fait d’une contribution plus faible des immigrés (impôts, cotisations sociales) alors que le système français est assez redistributif. L’autre de l’OCDE conclut à un impact de -0,52 % du PIB qui revient environ à 10 milliards. 

Ces études ne prennent toutefois pas en compte les coûts de politique publique, évalués par la Cour des comptes — totale mission « immigration, asile et intégration » — à 6,57 milliards d’euros en 2019, soit 1,4 % des dépenses brutes du budget général. Les dépenses de l’État liées à ces politiques sont en augmentation de près de 50 % par rapport à 2012, en raison notamment de la croissance de la demande d’asile. L’étude de France Stratégie évalue ces coûts à 0,1 % du PIB soit environ 2,3 milliards, sans doute en raison d’un périmètre plus restreint.

La CNAV — qui procède, par délégation de l’INSEE, aux immatriculations des personnes nées à l’étranger — recensait, en 2019, 12,4 millions de personnes nées à l’étranger — Français ou étrangers — qui ont des droits ouverts aux prestations sociales. 7,7 millions avaient des droits ouverts à la retraite, mais avec des doublons, et sans nécessairement toucher une retraite. Ceux qui touchaient effectivement une retraite étaient 2,6 millions, soit 18 % du total des retraités — 1,74 million résidant en France, 860 000 à l’étranger.

L’emploi et les salaires

Les synthèses internationales montrent un très faible impact de l’immigration sur le marché du travail — emploi et salaires. Si les compétences des immigrés complètent celles des natifs, l’impact est positif. Si elles sont similaires, l’emploi et les salaires peuvent être négativement affectés sur le court terme. France Stratégie conclut de sa revue de littérature qu’un accroissement de 1 % de la main-d’œuvre dû à l’immigration se traduirait selon les études par une variation de l’emploi des non-immigrés comprise entre -0,3 % et +0,3 %. Parmi les analyses les plus citées, celle du CERDI conclut sur la période 1994-2008 à un effet non significatif sur le chômage.

Les taux d’emploi et de chômage constatés chez les étrangers sont très variables. Ceux qui concernent les ressortissants africains sont toutefois notables : taux d’emploi 38 % dont 49 % de Français, taux de chômage 18 % dont 7 % de Français, taux d’inactivité 21 % dont 6 % de Français. S’agissant des salaires, un accroissement de 1 % de la main-d’œuvre dû à l’immigration se traduirait en France selon les études par une variation des salaires comprise entre -0,8 % et +0,5 %. En 2011, une étude pour la Banque mondiale portant sur les années 1962-1999 montrait qu’un accroissement de 10 % de l’immigration conduisait à une augmentation de 3 % des salaires des natifs. Une étude plus récente du CEPII portant sur les années 1990-2010 conclut à un effet négatif (-1,0 à -2,4 %) sur les salaires des natifs les plus qualifiés et à un effet positif (+0,4 à + 1,2 %) sur ceux des natifs les moins qualifiés.

La population active et la question des retraites

Le raisonnement mécaniste qui veut combler un déficit de force de travail par l’immigration est peu convaincant. Certes, l’immigration peut être un palliatif au vieillissement de la population active. En revanche, elle ne peut être « la » solution au problème du financement des retraites. En effet, les nouveaux arrivants finissent aussi par vieillir, et l’amélioration du ratio de dépendance (actifs/retraités) provoqué par l’immigration n’est donc que passagère. Pour stabiliser ce ratio et donc avoir un impact sur le financement des retraites, une immigration massive serait indispensable : il avait été calculé il y a vingt ans que la France aurait besoin de plus de deux millions d’immigrés par an entre 2025 et 2050 pour maintenir ce ratio.


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